Respiration ou apnée: explorer l’énigme des zones de minimum d’oxygène

Le projet AMOP est un projet multidisciplinaire international qui vise à comprendre comment fonctionnent les Zones de Minimum d’Oxygène (ZMOs), ces couches océaniques en profondeur dépourvues d’O2 , un composé tout aussi important pour la vie marine que pour la plupart des êtres vivants à la surface de la planète. Comment l’océan respire-t-il ?
Telle est question au cœur de la problématique scientifique d’AMOP. Alors que la pénurie en oxygène des ZMOs suggère une forte consommation d’O2, l’état actuel des connaissances ne permet pas encore de savoir si tout l’oxygène apporté par les courants ou produit par photosynthèse est consommé sur place et si les ZMOs constitueraient alors les principales zones où l’océan perd de l’oxygène. Il est aussi possible que les ZMOs soient des zones de l’océan sans consommation d’O2, c’est-à-dire où l’océan ne respirerait plus.
Les organismes spécifiques qui s’y refugient seraient alors des champions de l’apnée (1) comme les méduses et les calamars géants, ou alors des bactéries capables de respirer des nitrates ou des sulfates, autres composés capables de remplacer l’oxygène pour ces organismes.

Levé du jour sur les incubateurs positionnés sur le pont avant du N.O Atalante lors de la campagne AMOP au large des cotes du Pérou (H. Barrois).

Pour répondre à ces interrogations sur l’existence et le rôle des ZMOs dans l’océan, la campagne AMOP s’appuie sur des observations et de l’expérimentation in situ dans la mer de Grau au large du Pérou, dans la région de résurgence côtière, là où la ZMO peut occasionnellement rentrer en contact avec la surface. Focalisées en des stations où le navire s’immobilise durant 54 heures, des mesures sont effectuées avec des prélèvements d’eau de mer à des niveaux verticaux très resserrés (5-10 mètres) et des intervalles de temps très courts (toutes les 3 heures). La campagne couvre notamment des configurations d’oxygénation qui se modifient au cours du temps sur une même station ou bien diffère selon la position géographique (Nord ou Sud; proche ou éloignée de la côte). Les propriétés chimiques également diffèrent: variation verticale de O2 brutale ou graduelle; présence de pics d’O2; eau totalement anoxique et sulfurée; double ou simple pic de fluorescence; dépôt atmosphérique de poussières.

Ces observations, depuis la surface saturée en O2 jusqu’au cœur de la ZMO en passant par une zone frontière appelée oxycline, permettent de comparer des situations contrastées, similaires à l’océan soit oxygéné soit désoxygéné, et des situations de transition. En particulier, une des hypothèses centrales d’AMOP va être testée: celle-ci considère l’oxycline comme le «moteur» biogéochimique permettant à l’OMZ de se maintenir aussi pauvre en O2. Ce «moteur» résulte d’un couplage intense mais intermittent entre différents processus microbiologiques et écologiques, contrôlé par la structure fine en oxygène et stimulé par la chute de matière organique depuis la couche de surface, le «carburant» de notre système.

Immersion de la bathysonde hydrologique permettant les prélèvements d’eau et les mesures physiques basiques (température, salinité, oxygène, courants, etc…) lors de la campagne AMOP au large des côtes du Pérou (E. Garcia Robledo)
Mise à l’eau d’un filet à plancton de type Bongo lors de la campagne AMOP au large des cotes du Pérou (C. Maes)

Afin de caractériser la structure fine de la ZMO, l’oxygène est déterminé par trois approches différentes (électrochimique, chimique, optique) incluant trois mesures indépendantes systématiques (2), complétées spécifiquement par d’autres mesures (jusqu’à 19 supplémentaires en incluant les réplicas) associées à six techniques de prélèvement ou plateformes autonomes différentes (3). En particulier, un micro-capteur nouvelle génération, le STOX (4), permet d’explorer des concentrations de l’ordre du nanomolaire proche de l’anoxie (confirmée par la présence de sulfure), 1000 fois plus faibles que les méthodes classiques de mesures d’’oxygène. La consommation et production biologique et chimique d’oxygène sont déterminées à partir de cinq approches (un système d’incubations plongé directement à différentes profondeurs de l’OMZ (5) et quatre à bord (6), complétées par la détermination d’activités enzymatiques respiratoires (7). Les processus bactériens sont détectés par le suivi en incubation non seulement de l’oxygène mais également d’isotopes stables et radioactifs (8), ainsi que de paramètres associés. Cette approche directe est complétée par la description du couplage entre les cycles de l’oxygène et ceux de l’azote, du carbone, du phosphore, de la silice et du soufre (9), ainsi que par l’identification des différentes communautés bactériennes, phytoplanctoniques et zooplanctoniques (10). Enfin, la sensibilité à différents paramètres est testée durant la campagne, avec un effort porté sur la distribution et variabilité fine en oxygène et en matière organique (11). Le projet AMOP s’appuie sur une collaboration internationale, impliquant directement huit pays, en particulier le Pérou (IMARPE, Institut de la Mer du Pérou) avec lequel une collaboration de longue date existe et qui a permis la mise en place d’un mouillage fixe déployé un an avant la campagne, permettant de replacer les données de la campagne dans le contexte de la variabilité côtière et climatique. L’IMARPE est par ailleurs impliqué dans les différentes mesures et approches clés menées à bord (distribution et consommation/production d’oxygène; ammonium; phytoplancton; zooplancton) avec la participation de quatre scientifiques.

Aurélien Paulmier (au centre), le chef du projet AMOP avec l’équipe des scientifiques de
l’IMARPE, de droite à gauche, Jesus Ledesma, Carmela Nakazaki Lao, Elda Pinedo and
Augusto Franco Garcia.

(1) Lorsque les êtres humains ou les mammifères marins retiennent leur respiration, ils ne respirent plus d’oxygène (O2) gazeux. Ici, le mot «apnée» doit être ici compris comme ne respirant pas ou peu d’oxygène (O2) dissous et non pas gazeux.

(2) 2 SBE43 fixé à la CTD et méthode Winkler prélevée à la bouteille Niskin en triplicata systématique.

(3) CTD, bouteilles Niskin sur la rosette, ligne dérivante et fixe, Free Rising CTD, flotteur profileur Argo.

(4) Switchable Trace OXygen.

(5) IODA: In situ O2 Dynamics Auto-analyzer : cf communiqué du jeudi 30/01.

(6) Couvrant jusqu’à 131 incubations pour la même station en incluant les réplicas dont 20 expériences différentes.

(7) Totale et bactérienne par 2 méthodes dont une in vivo (incubation des cellules vivantes), ainsi que zooplanctonique.

(8) Photosynthèse (O2, 14C); activité hétérotrophe de reminéralisation/respiration (3H); processus associés au cycle de l’azote (e.g. dénitrification, anammox; 15N).

(9) Nitrate, nitrite, ammonium, N2O; CO2 total dissous, pH avec 2 types de mesure et paramètres du système des carbonates, carbone inorganique particulaire; phosphate; silicates et silice biogénique ; H2S.

(10) Taxonomie, comptage, pigments, cytométrie de flux, reconnaissance d’ADN (génomique par Hybridation Fluorescente In Situ : Card-FISH).

(11) Caractérisation détaillée (quantité, qualité) de la matière organique: stœchiométrie C/N/P systématique de la fraction dissoute et particulaire, fonctions chimiques comme les sucres et les lipides.

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