Le cycle océanique de l’eau en Mer de Chine méridionale, entre océans Pacifique et Indien
Les eaux de surface de la circulation océanique globale qui participent au fonctionnement du climat transitent entre les océans Pacifique et Indien à travers la Mer de Chine Méridionale en Asie du Sud-Est : c’est le South China Sea Throughflow. Elles sont soumises lors de leur traversée en Mer de Chine Méridionale à de nombreux facteurs d’influence : apports de chaleur et d’eau douce de l’atmosphère et des fleuves, mélange induit par la marée, tourbillons et structures de méso-échelle. Elles en ressortent transformées, adoucies et réchauffées, et poursuivent leur périple dans l’océan global. Des chercheuses et chercheurs du LEGOS, de l’USTH (Université des Sciences et Technologies de Hanoi, Vietnam) et de l’OSU (Oregon State University, USA) ont mis en place et exploité le modèle SYMPHONIE à haute résolution pour mieux représenter et comprendre les processus impliqués dans le fonctionnement et la variabilité du transport et des transformations des eaux océaniques lors de leur traversée dans cette région.
La branche de surface de la circulation océanique globale s’écoule de l’Océan Pacifique à l’Océan Indien à travers la Mer de Chine Méridionale (MCM), traversant six détroits et interagissant avec le continent et l’atmosphère du système climatique régional (Figure). L’étude et la quantification des bilans d’eau, de sel et de chaleur en MCM est donc importante pour la compréhension du climat tant à l’échelle régionale que globale. La complexité topographique de la région rend cependant peu réalisable l’instrumentation in-situ simultanée de tous les détroits. Utilisée de façon complémentaire avec les observations disponibles, la modélisation se révèle alors un outil de choix pour répondre à cette question, à condition d’être capable de représenter les différents mécanismes impliqués dans le transport et la transformation des masses d’eau dans la région (structures tourbillonnaires, upwellings, marée et ondes internes …) et dans sa variabilité à différentes échelles, qu’elle soit saisonnière (en lien fort avec les moussons) ou interannuelle (avec l’influence d’ENSO).

Valeur moyenne sur la période 2009-2018 (en millions de m3 par seconde et en m/an) et contribution au flux total entrant et sortant (en %) du transport net d’eau à travers les 6 détroits séparant la Mer de Chine Méridionale des océans Pacifique et Indien, des apports nets atmosphériques (bilan précipitation – évaporation) et des apports des rivières.
Pour mieux prendre en compte, comprendre et quantifier le rôle de ces mécanismes, des chercheuses et chercheurs du LEGOS et de l’USTH ont donc fait appel à la modélisation haute résolution. Ils ont mis en place une configuration à 4 km de résolution du modèle océanique SYMPHONIE développé par le Service National d’Observation SIROCCO (sirocco.obs-mip.fr). Le modèle inclut une représentation explicite de la marée ainsi qu’un module de calcul online (en ligne) des bilans d’eau, de chaleur et de sel, entrants et sortants, qui permet de fermer rigoureusement ces bilans, au contraire d’un calcul offline (ultérieur). La valeur ajoutée de cette configuration en termes de représentation de la dynamique océanique et des caractéristiques des masses d’eau a été mise en évidence pour une simulation effectuée sur la période 2009-2018 par comparaison à une simulation jumelle moins résolue (12 km) et aux produits des analyses et réanalyses couramment utilisés.
A l’échelle annuelle l’apport d’eau représente environ 4 millions de m3/s, soit 20 fois le débit de l’Amazone. Il provient presque exclusivement de l’eau de mer qui arrive de l’océan Pacifique, via le détroit de Luzon (95 %) et le détroit de Balabac (2%). L’eau douce apportée par les pluies (1%) et les rivières (2%) représente 3% cet apport, soit environ 100 000 m3/s. Cette différence peut sembler négligeable face aux volumes d’eau considérables qui traversent les détroits mais elle représente tout de même un apport de 1 mètre par an sur toute la zone. Pour que le niveau de la mer reste globalement stable, cet apport d’eau douce est évacué par les détroits. Les sorties à travers les détroits excèdent donc très légèrement les entrées. Un quart de cette eau ressort au nord à travers le détroit de Taïwan vers la Mer de Chine de l’Est (27%). Les trois quarts restants s’écoulent au sud vers l’Océan Indien à travers les détroits de Mindoro (49%) et Karimata (24%).
Le cycle annuel de ces flux d’eau salée et douce est principalement piloté par le régime des moussons saisonnières : les vents secs de nord-est de la mousson d’hiver favorisent l’entrée d’eau par le détroit de Luzon et l’évaporation à la surface océanique, et les vents humides de sud-ouest de la mousson d’été favorisent la sortie par le détroit de Taïwan et les précipitations. Pendant la saison sèche d’hiver, la MCM reçoit un excédent d’eau océanique à travers les détroits et très peu d’eau douce (Figure 2). Pendant la saison humide d’été, le bilan net des apports océaniques est négatif, et la MCM reçoit les apports des pluies et des rivières.
Cette configuration est maintenant à la disposition de la communauté scientifique et ouvre la voie à de nombreuses études. Utilisées de façon complémentaire avec les mesures en mer, notamment celles effectuées lors de la campagne franco-vietnamienne PLUME en mai 2014 à bord de l’Antea au large des côte vietnamiennes, elles aideront à comprendre tant la dynamique océanique que son influence sur les autres compartiments du système régional : écosystèmes marins, propagation de contaminants, interaction avec l’atmosphère …

Prélèvements d’eau au large du Vietnam (Mer de Chine du Sud) lors de la campagne océanographique PLUME, mai-juillet 2024.
Référence : Trinh, N. B., Herrmann, M., Ulses, C., Marsaleix, P., Duhaut, T., To Duy, T., Estournel, C., and Shearman, R. K. (2024). New insights into the South China Sea throughflow and water budget seasonal cycle: evaluation and analysis of a high-resolution configuration of the ocean model SYMPHONIE version 2.4, Geosci. Model Dev., 17, 1831–1867, https://doi.org/10.5194/gmd-17-1831-2024
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